Chronique

Le Phare

On est seulement dans le stationnement, et j’ai déjà le cœur à l’envers.

Il y a quelques jours, Patricia Laurence, conseillère au développement philanthropique du Phare Enfants et Familles, m’a téléphoné pour savoir si j’acceptais d’offrir ma fête en cadeau, pour ramasser des fonds pour leur maison. Le geste est tout simple. C’est mon anniversaire le 20 mars, alors je n’ai qu’à inviter les gens qui me connaissent à le souligner en offrant un don à cette cause. Et la cause est toute grande. Le Phare Enfants et Familles est une maison de soins palliatifs pour enfants. J’ai dit oui tout de suite. Des soins palliatifs pour enfants. Il n’y a pas de service plus essentiel que ça. Adoucir les jours comptés d’âmes qui n’en ont pas vécu assez.

Je vais donc rendre visite au Phare. Camille, ma précieuse adjointe, m’accompagne. On ne sera pas trop de deux pour se soutenir le moral. On a peur de craquer. De fondre en larmes. Nous n’avons pas la force des enfants. Patricia nous accueille. On croyait arriver dans un endroit triste et gris. On arrive dans un endroit joyeux et ensoleillé. Ce n’est pas parce que l’avenir est sombre que le présent ne peut pas être lumineux. Au contraire. Il faut chérir chaque moment. Et c’est ce qu’on fait ici.

Dans le salon, une équipe d’animation chante et bricole avec les kids. Bien sûr, les kids ont l’air fragiles. Mais dans leurs yeux, il y a cette vigueur propre aux enfants. Cette capacité d’être totalement investi dans l’instant présent. Et de chanter le thème de la Reine des neiges avec conviction. Libérée, délivrée…

Patricia nous explique que la vocation du Phare, c’est d’offrir des soins aux enfants, bien sûr, mais aussi d’offrir du répit aux parents. Avoir un enfant gravement malade, c’est un combat de toutes les secondes. Outre l’hôpital, la Maison André-Gratton du Phare Enfants et Familles est la seule place où les parents peuvent confier leurs enfants et recharger la batterie de leur courage. 

Quand je dis la seule place, c’est vraiment la seule place. Il n’y a pas d’autres maisons de soins palliatifs pédiatriques au Québec. Oui, vraiment, une cause essentielle…

La Maison peut accueillir 12 enfants à la fois. Ils ont tous leur chambre avec des grandes fenêtres laissant entrer le ciel. Une salle à manger, une salle de jeux, une salle d’art, une salle de musique, une salle multisensorielle, une piscine chauffée et une grande cour, avec des balançoires et des glissoires. On dirait presque un super camp de vacances. Sauf que la principale activité ici, c’est lutter pour sa vie. C’est pour ça qu’il y a aussi des infirmières sur place, 24 heures sur 24, et des médecins de garde. Les familles ont aussi accès à une travailleuse sociale, à une éducatrice spécialisée et à un psychologue. Parce qu’il y a des décisions à prendre. Parce qu’il y aura, à moins d’un doux miracle, un deuil à faire.

Nous arpentons un long corridor, ingénieusement transformé en gymnase, avec des paniers de basket suspendus sur le mur, quand nous croisons, dans une brouette en plastique tirée par une monitrice, un petit bout de chou. Elle porte un masque à pois sur la bouche, car son système immunitaire est déficient. On ne voit que ses deux grands yeux noirs vifs et perçants. Elle me regarde : 

« – T’es qui toi ?

– Je suis Stéphane.

– Qu’est-ce que tu fais ?

– Je fais une p’tite visite. Et toi, t’es qui ?

– Je suis Marie…

– Et tu fais quoi ?

– J’ai hâte de prendre mon bain. »

Et la brouette continue son chemin vers la salle d’eau. Je ne saurai rien de plus de Marie. À quel point elle est atteinte. Si elle a peur. Si elle a mal. Mais je me souviendrai toujours d’elle. Je me souviendrai toujours qu’elle a hâte. Et quand je serai sur le point de me plaindre de mes petits soucis, je repenserai à Marie qui a hâte. Qui a hâte à ce qui s’en vient. Pas à ce qui s’en vient dans deux semaines, dans deux mois, dans deux ans. À ce qui s’en vient tout de suite. À ce qui s’en vient là. Il faut toujours avoir hâte à tout de suite.

La visite est terminée. On se fait la bise. Derrière le comptoir de la réception, on remarque un gros crochet. Patricia nous explique : « Quand on y accroche une lampe et qu’une lumière y danse, ça veut dire que l’un de nos résidants a le souffle qui vacille. Que son voyage achève. Et quand la lampe est éteinte, ça veut dire qu’il est parti. Et que tout le monde pleure la perte d’un ami. »

Camille et moi, on se regarde. Les yeux brumeux.

Aujourd’hui, il n’y a pas de lampe suspendue au crochet, ça veut dire que tout va bien. Que l’on peut avoir hâte à demain.

Nous revoilà dans le stationnement, le cœur à l’endroit. Il a craqué, bien sûr, mais tant mieux, ça va lui permettre de laisser passer encore plus de lumière. De lumière du Phare.

Si vous voulez fêter l’enfance, le printemps et votre reconnaissant chroniqueur, rendez-vous à cette adresse : http://www.mafeteencadeau.com/fete/stephane-laporte/ 

Je vous remercie de toute ma vie.

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